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Le jour où j’ai découvert le mariage « laïque »

Lorsque je reçus le faire-part de mariage d’une mienne parente, il était précisé quelque chose comme (de mémoire) : « La cérémonie sera laïque ». Stupéfaction devant cette mention qui me laissa perplexe. Pourquoi laïque ? Pourquoi pas la dénomination officielle « mariage civil » ? Quel besoin de préciser laïque ? Par provocation pour les croyants ? Pour dire : si vous êtes un parent ou ami catholique, vous n’êtes pas le bienvenu ? Je ne comprenais pas cette mention qui pouvait être mal comprise : le mariage civil étant déjà laïque par définition, on ne voit pas ce que le mot « laïque » pouvait apporter de plus, sinon d’afficher des convictions politiques personnelles ; ce qui, à propos d’une cérémonie de mariage, paraissait plutôt déplacé et de nature à choquer.

N’ayant pu être présent à la cérémonie, je n’ai donc pu résoudre le mystère et j’en suis resté là.

Trois ans plus tard, menant des recherches sur Google, je tombe tout à fait par hasard sur l’expression « mariage laïque ». Je clique, et là, je découvre que le mariage laïque, ce n’est pas du tout une vue de l’esprit ; c’est même quelque chose de sérieux, qui existe, une sorte de mariage prêt à l’emploi, fourni clé en mains si je puis dire, par des entreprises s’intitulant « créateurs d’événements ».

À la question : « Qu’est-ce que le mariage laïque », l’un de ces sites professionnels répond : « C’est un nouveau concept qui nous vient des États-Unis ». Et là, eurêka ! tout s’éclaire : effectivement, un tel concept ne pouvait venir que des États-Unis, même si certains contestent cette origine ; comme tout ce qui vient des États-Unis dès qu’il y a du big-business à faire, surtout si le concept a été préalablement éprouvé. Tout cela sent sont Las Vegas, la franchise à tunes et le grand vide sidéral made in USA, pays où même quand on est des millions, on se sent seul.

Mais voilà nous sommes en France, en Europe, et non sous l’empire de la civilisation démonocratique anglo-saxonne. Plusieurs choses me chiffonnent dans le cérémonial de cette « nouveauté ». Et comme j’ai pris l’habitude de douter par principe de tout ce qui est « nouveau », surtout quand le « nouveau » prétend effacer l’ancien pour le ringardiser et en faire du jamais vu. Je m’explique.

1) Je pense tout d’abord que ces braves « créateurs d’événements » emploient le mot « laïque » sans bien en comprendre toute la portée, ni toute la charge sémantique qu’il véhicule. Le mot « laïc » est un nom masculin venant du grec, signifiant peuple ; la forme féminine est adjective : laïque ; on dira d’une femme qu’elle est laïque. Dans l’Ancien Régime, était laïc (ou profane) tout ce qui n’était pas religieux : cela a été sa signification stricte de toujours. Après la Révolution « française », laïque, adjectif, prend une toute autre tournure significative, beaucoup plus lourde de sens : le mot symbolise toute l’histoire de la République opposée à l’Église catholique, à la royauté et à la famille, suggérant du même coup qu’il n’est ni anodin ni neutre ; c’est, d’une façon générale, l’athéisme, la franc-maçonnerie (l’hôpital qui se moque de la charité !), la libre pensée (qui n’a rien de libre, même pas la pensée), le républicanisme en général, et toute autre attitude rejetant explicitement la religion catholique. On peut penser que la plupart des gens pratiquent le « mariage laïque » en ayant en tête le sens neutre du mot ; or laïque est tout ce que l’on voudra sauf neutre, contrairement à ce que les professionnels de l’idéologie voudraient nous faire croire ; car il s’agit bien de cela : le mot laïcité recouvre un projet idéologique portant en lui l’essence même du socialo-communisme ou de l’ultra-libéralisme qui ne sont que l’avers et le revers de la même médaille. Pour certaines personnes nourries de foi chrétienne et appréhendant parfaitement la connotation politique du mot, celui-ci peut être pris pour une provocation.

2) La liste des « rituels », que l’on peut choisir à la carte (les cérémonies sont personnalisables), pour sympathique qu’elle soit au premier regard, relève de l’idéologie bisounours. On chercherait en vain quelque chose qui nous fasse toucher du doigt l’émotion que suscite cette union pour la vie de deux êtres que l’amour a déjà rapprochés, quelque chose qui relève de la transcendance, de la promesse que l’on dépose devant Dieu et les hommes. Rien de tout cela. Que du bonheur surfait, du prêt à consommer vide de sens, de contenu moral : que des bons sentiments ; le mariage Ikea sur commande, que complète le repas quelque peu fêtard succédant à la cérémonie. On n’oublie trop que c’est l’Église catholique qui a formalisé le mariage monogame au Moyen Âge, et d’une certaine façon l’a réinventé, lui donnant ses lettres de noblesses afin de structurer la famille et protéger la société de tous ses désordres, au point d’en faire un rite sacramentel (1) ; en le sacralisant, elle lui a donné une essence divine qui le reliait au Dieu Créateur, au même titre que la naissance et la mort.

3) S’agissant du mariage, il y a donc une cérémonie solennelle ; et qui dit cérémonie dit célébrant à l’église, mais officiant dans le mariage laïque ; par exemple, un homme en tenue blanche très stricte et nœud papillon rose, sorte de curé d’opérette célébrant l’office. Mais en ce domaine très « laïciste », les femmes prennent le pouvoir et les officiants sont le plus souvent des officiantes ; elles sont à la manœuvre et on les sent à leur affaire ; si elles pouvaient divorcer une semaine sur deux pour se remarier la semaine suivante, elles le feraient, rien que pour revivre l’excitation de la cérémonie. Bref, elles arrangent la chose à leur manière, et ne manquent pas de marquer l’événement de leur empreinte : parfois un peu trop de rose bonbon ou de mauve guimauve. Après tout, l’Église n’a pas voulu de femmes prêtres ou évêques — et j’affirme qu’historiquement, théologiquement, elle a bien fait ! Alors elles trouvent à exprimer ailleurs et dune autre façon leur désir d’idéal féminin reconnu par les hommes.

4)  Je n’ai pas encore eu l’occasion d’assister à un tel mariage, mais je crois que j’y serais aussi mal à l’aise qu’aux obsèques par incinération des corps. Caractère superficiel de la cérémonie, manque total de solennité et d’élévation spirituelle, absence de rappel des devoirs mutuels et respectifs des futurs conjoints, etc. ; je n’ai pas vu qu’on faisait allusion au rituel des consentements, ni aux témoins... Bref, tout cela dénote l’anthropocentrisme de notre époque moderne où l’individu est roi, où le grand mot de liberté est devenu un caprice de chacun n’obéissant qu’à lui-même, à ses propres fantasmes et autres pulsions fugaces. J’ai noté qu’à propos des époux on parle de plus en plus de compagne et de compagnon, non de mari et femme ; est-ce le cas après le mariage laïque ? On parle également d’engagement des partenaires ; il y a certes engagement administratif devant le maire ; mais à l’Église il y a promesse de l’un à l’autre ; la promesse, elle, se réalise dans ce qu’il va advenir, dans le don mutuel de chacun à chacun, dans la réussite et la plénitude du couple trouvant sa raison d’être au sein du nid familial qui se construit tout en préparant les naissances à venir.

5) Quand je vois une promise en grande robe de mariée se présenter à la mairie, devant M. le maire ou ses adjoints, je vois là une solennité déplacée qui n’est pas de mise avec l’autorité du maire ; celui-ci est, certes, un officier d’état civil représentant la légalité administrative, mais certainement pas une autorité morale et spirituelle. Que le mariage soit laïque ou profane ou autre, qu’il puisse prévaloir à notre époque où l’on ne croit plus à rien, où l’on ne respecte plus le sacré et on l’ignore même, faut-il s’en étonner ? Il ne peut y avoir d’engagement réel puis de promesse d’avenir que devant Dieu... Certes, mais quelle image de vertu et de sainteté l’Église catholique donne-t-elle d’elle-même, aujourd’hui ? Quelle vérité, quel message transcendant a-t-elle à nous délivrer ? Depuis le ralliement à la République (1892), sa mission terrestre, tant pastorale que doctrinale, n’aura été qu’une lente descente aux enfers, avec une accélération phénoménale après Vatican II, depuis que les curés modernistes ont troqué, non seulement la soutane pour une tenue passe-partout, mais aussi l’évangile du Christ pour l’évangile de Marx ; Vatican II aura transformé l’Église en une vulgaire ONG ; et à mon avis, comme vont les choses, nous ne sommes pas loin de sa prochaine transformation en société « créatrice d’événements » : baptême, mariage, obsèques, service à la demande, histoire de faire fructifier le business et de faire oublier définitivement le Seigneur.

6) Dans les années d’après Mai-1968, il fut de bon ton de tout envoyer valser, le mariage, la famille, le père, le curé, le patron, virer aussi l’instituteur et le prof de leur estrade, bref, passer par-dessus bord toute forme de représentation de l’autorité et autres valeurs de la morale séculaire ; le temps était à la mode unisexe et au sexe libérateur ; les filles se baladaient dans les rues, mini-jupe au ras du fessier, autant par provocation que par souci de paraître moderne, tandis que la drogue, réservée habituellement à une certaine élite bourgeoise pseudo intellectuelle, se démocratisait ; il était également de bon ton de vivre à la « colle » (union libre), le mariage étant considéré comme une aliénation bourgeoise hautement réactionnaire, en dépit du fait qu’il aurait pu être républicain (2) ; dans la foulée, « concubinage » se substituait sémantiquement à « vie maritale ». Le quotidien Libération, une feuille de la Résistance reprise par Sartre, le nabot pestilentiel, et un groupe de maoïstes de l’époque, menait la danse ; journal dit révolutionnaire (bourré de gauchistes et d’autonomes), il se devait d’être égalitaire en ce sens que le salaire était le même pour tous, du patron à la femme de ménage. Surprendrais-je en disant que cette chienlit n’a pas duré longtemps ? Il se vendit d’abord à la publicité, au grand dam des gauchistes maison, avant d’être sauvé par l’État socialiste mitterrandien, pour ensuite se prostituer à la haute finance et devenir aujourd’hui le journal des bobos friqués, héritiers de Mai-68. D’ailleurs, son ancien patron, le journaliste maoïste July, suivit la même métamorphose ; on le vit troquer sa dégaine de guérillero à la Che Guevara pour le costume trois pièces de grand capitaliste bourgeois. Ce qu’on oublie aussi de rappeler, c’est que Libération (qui aurait dû se nommer Aliénation) fut un temps le journal des taulards, et qu’il était célèbre, à l’époque, pour ses petites annonces orientées bagatelle qu’il proposait à ses lecteurs, sous la rubrique subtilement dénommée « Plan Q ». Ah, les esprits forts quand ils veulent nous la jouer façon libertaires affranchis de toutes normes sociales, et trouvant leur acmé dans ce mot d’ordre : « le sexe, oui ; le mariage non ! » que l’on pourrait interpéter ainsi : le plaisr facile, oui ; les reponsabilités, non. Alors, futurs mariés d’aujourd’hui, tant éblouis par la modernité du mariage laïque, ne seriez-vous pas devenus, à votre tour, un peu réacs à côté de vos anciens ?

7) Une chose est sûre : cette nouvelle incongruité sociétale venue des États-Unis, sinon des forges obscures de l’Enfer où se trame les mauvais coups de Satan, qui s’inscrit toujours dans un parti-pris moderne et progressiste comme quelque chose de nouveau, d’original, d’innovant, malgré son apparence plutôt attrayante, n’est qu’un coup de pioche de plus visant à abattre l’édifice monumental de notre civilisation française séculaire, auquel participe parfois, sans même s’en rendre compte, nombre de personnes de bonne foi, en toute ignorance de la réalité.    

8) J’ai commencé par l’invitation de la promise ; et je me demande si elle et son petit ami, aujourd’hui son époux, n’auraient pas mieux fait de continuer leur vie commencée à deux : ils étaient déjà mariés au berceau ! Ils représentent un de ces rares cas d’enfants élevés ensemble, qui ne se sont jamais séparés ; les deux mères étaient voisines et amies ; si bien que les enfants, se retrouvant tantôt chez l’une, tantôt chez l’autre, ont grandi l’un avec l’autre et ont continué ainsi dans la vie. Une satisfaction au moins : ils ont donné, le voulant ou non, un prénom chrétien à leur fille : Dieu soit loué ! tout n’est pas perdu... Et puis, l’âge et une certaine sagesse venant, peut-être éprouveront-ils le besoin de frapper à la porte d’une église afin de sceller cette longue union par une petite, oh ! une toute petite, toute simple, bénédiction nuptiale. En espérant qu’il y aura, ce jour-là, un prêtre pour ouvrir la porte.

Bonheur à vous, mariés laïques ou mariés du Bon Dieu ! Le bonheur ici-bas s’offre à tous, riche ou pauvre, croyants ou non, mais il appartient à chacun de le mériter. (Août 2019)

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1. On ne peut comprendre l’importance du mariage médiéval que si l’on ne perd pas de vue qu’au Moyen-Âge il n’y a pas d’État, il n’y a que des familles ; d’où le poids de celles-ci dans la conclusion des alliances, et le rôle majeur et structurant de l’Église catholique. D’où aussi la publication des bans (proclamation publique), le consentement mutuel, le rôle des témoins afin de contrer la bigamie, le concubinage, la consanguinité, le rapt, etc., et ainsi s’assurer tant de la légitimité des futurs époux que de la sincérité de leur promesse solennelle. La publication des bans et la présence de témoins perpétuent la tradition, mais n’ont plus aujourd’hui qu’une valeur purement factuelle, sinon administrative.

2. Le « mariage républicain » est une expression rappelant les sinistres noyades de Nantes dont fut responsable Jean-Baptiste Carrier, l’envoyé de la Convention à la tête du Comité révolutionnaire de Nantes. L’hystérie criminelle consistait à lier un homme et une femme tout nus dans des positions obscènes et à les noyer dans la Loire, décrétée pour la circonstance « baignoire nationale ». Étaient surtout visés prêtres et religieuses, le but étant d’ajouter l’humiliation et l’outrage à l’horreur de l’acte. Carrier serait lui-même à l’origine de l’expression. Les républicains qui pratiquent souvent le « baptême républicain » par opposition au baptême religieux pour singer l’Église catholique, pratiquent peu le « mariage républicain » pour ne pas raviver le souvenir atroce. D’où, mutatis mutandis, le « mariage civil ». Il ne manquait que le « mariage laïque » pour parfaire le tableau.

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