
Dieu vomit les tièdes
Je connais tes œuvres (Laodicée). Je sais que tu n’es ni froid ni bouillant. Puisses-tu être froid ou bouillant! Ainsi, parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni bouillant, je te vomirai de ma bouche. (Ap 3,15-16)
Je ne suis pas ce qu’on pourrait appeler un « fan » de l’Apocalypse ; ce texte eschatologique ne figurerait pas dans le Nouveau Testament aux côtés des Évangiles, des Lettres de Saint-Paul et des Actes, je n’aurais pas l’impression qu’il manque quelque chose, même s’il est vrai qu’il y a des passages troublants qui font prendre conscience de l’existence d’un mal inexpugnable intrinsèque à l’humanité, annonciateur des fins dernières ; je vois surtout qu’il tourneboule les têtes faibles, même les têtes branlantes de dangereux personnages sectaires qui n’ont pas hésité à entraîner des innocents à la mort ; il tend à détourner les esprits du véritable message du Christ, même si celui-ci s’essaye à l’eschatologie dans le discours de la Fin des Temps ou la Ruine du Temple. Les apocalypses étaient une pratique courante dans la tradition juive ancienne ; elles n’apportent rien de spécifique à la foi catholique, sinon que le chrétien se doit d’être prêt pour la dernière heure qui peut le surprendre à tout moment.
Si j’ai retenu ce passage, c’est parce qu’il illustre bien dans quelle tiédeur, pour ne pas dire léthargie comateuse, est tombé le catholicisme moderne depuis le Ralliement de l’Église à la République (1892) (1), depuis le lessivage de la doctrine catholique et la tentative de protestantisation du christianisme ; un effondrement spirituel et liturgique conséquence de la trahison de Vatican II ; une religion du Mystère, ramenée à l’état de vulgaire substitut social et humanitaire à cette autre « religion » judéo-maçonnique et laïcarde qu’est la République. Ces transformations profondes en ont rendu stupide, voire veule, neutralisé et complètement inopérant, le catholique pratiquant sur le plan politique — je dis bien politique —, se cantonnant depuis des décennies dans un ouiouisme républicain frileux et retranché, restant spectateur, indifférent à la dérive infernale de son pays ; d’ailleurs, l’indifférence, le silence, le regard tourné ailleurs quand il faudrait parler, ne sont-ils pas une forme de complicité passive criminelle ? Son engagement politique n’aura jamais été au-delà des imbuvables démocraties chrétiennes, véritables cataplasmes idéologiques montrant les limites civiques de ceux qui se déclarent chrétiens en politique ; le mot chrétien, il est vrai, s’étant usé jusqu’à la fibre à être trop galvaudé dans l’universalité du temps et de l’espace pour devenir une simple étiquette généraliste permettant de s’emparer du nom de Jésus, et de le détourner jusque dans le pire pour justifier des plus abominables perversions et dépravations de la société moderne.
Tout catholique devrait être à même de lire les Évangiles dans le texte ; même si ce n’est pas à la portée du premier venu, sans l’assistance d’un clerc religieux inspiré et compétent. Ainsi, quand Jésus, pour marquer la séparation du politique et du religieux, retourne aux pharisiens sa célèbre réplique « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César », il y a ce qu’il dit et il y a ce qu’il ne dit pas ; il n’a jamais dit que César ne doit pas être un fidèle de Dieu ; il n’a jamais dit qu’un fidèle de Dieu ne doit pas être César. Ce qui change la donne du tout au tout et nous renvoie à nos rois de France, les très chrétiens, lesquels, c’est le moins qu’on puisse dire, ne se sont pas privés, en bons lieutenants du Christ qu’ils étaient, même si certains se sont révélés des plus tièdes à un moment ou à l’autre, de donner plein effet à cette interprétation induite de la parole du Christ. On ne peut pas dire qu’ils aient failli devant cette suprême dignité céleste qui a magnifié leur règne tout au long de treize siècles de monarchie.
D’autre part, ce qui me justifie de mettre en avant cet extrait de l’Apocalypse où Jésus-Christ est censé s’adresser à l’auteur du Livre (saint Jean, d’où le titre second de l’Apocalypse : Révélation de Jésus-Christ ou Livre de la Révélation), c’est que s’il y en a un qui n’a jamais été du genre tiède ni tiédasse, c’est bien Jésus lui-même durant son Ministère terrestre ; il suffit de lire le chapitre 23 de Matthieu, de voir comment il secouait les Apôtres qu’il n’est pas loin de faire passer, dans certains extraits, pour des simples d’esprit, tellement ils se montraient peu perméables à son enseignement : ils n’étaient pas encore investis par le Saint-Esprit ; comment il expulse les marchands du Temple à coups de fouet (qu’il s’en prenne sans ménagement à des personnes en groupe sans que celles-ci ne réagissent pour se protéger d’un individu déchaîné qui menace leur commerce, et en plus, qu’il se permette de chasser les gens qui traversent l’esplanade du Temple, suggère qu’il était un homme physiquement solide et bien bâti : le fait qu’il ait travaillé comme charpentier avec son père explique sans doute cela) ; il se révèle même parfois sec et cassant dans ses rapports avec ses proches ; il a passé une partie de sa mission à se cacher, à raser les murs, à s’exiler lui-même, à échapper à de multiples tentatives de lynchage, voire d’assassinat ; il s’en est fallu de peu qu’il soit précipité du haut d’un roc par la foule hostile ; il se faisait traiter d’ivrogne, de glouton, de malappris ; enfin il a fini supplicié, cloué sur la Croix, transpercé par la lance d’un soldat romain. Je ne sache pas que Moïse et Mahomet aient connu une fin aussi tragique, même si ce dernier est mort des suites d’une tentative d’empoisonnement : certes, mais ce n’était pas la conséquence d’une ultime volonté sacrificielle et rédemptrice de sa part.
On est loin du Jésus idéalisé un rien glamour et confit de dévotion que véhicule l’imagerie sulpicienne. Un tel homme ayant réussi en trois ans, presque solitaire, sans moyens, en butte avec ses congénères, à réformer l’humanité à ses risques et périls et qui meurt pour Lui, Dieu ne peut pas le vomir.
Si ma réflexion politique s’inspire de ma foi catholique, mon action politique n’a aucun caractère religieux ; je ne mélange pas les genres ; je suis le fidèle, non le disciple ; c’est aux disciples de tenir le discours de vérité ; ce sont eux les consacrés, ils ont choisi leur vocation, mission accomplie durant des siècles par les clercs de l’Église catholique, les premiers concernés étant les papes et les évêques.
À part la Tradition, ils rasent aujourd’hui les murs par excès de prudence et finissent par en prendre la grisaille ; non pour se cacher comme Jésus, le condamné à mort, mais pour se faire oublier et éviter tout propos non politiquement correct qui pourraient les mettre en position délicate, face à un solide pouvoir républicain en place se faisant un malin plaisir de les accepter que pour mieux les humilier : ceux-là ne finiront pas martyrs. Sauf exceptions comme toujours, ils se contentent de délayer un pathos consensuel à leurs ouailles et se retranchent derrière un mutisme de circonstance, usant de certaines paroles de Jésus ou de Saint-Paul hors de leur contexte, voire tronquées, tout en affectant de pousser au dialogue interreligieux à un point qui frise l’apostasie. Voilà où mène la compromission avec la République — pour ne pas dire la soumission ! —, voilà où cela conduit quand on ferme les yeux sur toutes les horreurs civilisationnelles qu’on s’ingénie à ne pas voir de ce régime politicien d’abomination et de damnation, qu’est la République française.
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1. La politique de Ralliement imposée par Léon XIII à l’ensemble de la communauté catholique a eu un effet déclencheur catastrophique provoquant l’ouverture du catholicisme aux idéologies progressistes, et bouleversant l’Église catholique dépositaire unique de la Foi en Jésus-Christ et son Enseignement. Vatican II sera la suite et l’aboutissement logique de cette dérive progressiste.
Quant aux raisons qui ont poussé le Saint-Père à imposer une telle décision, extrêmement rapide dans son exécution, je reste réservé sur les appréciations qu’en ont donné les spécialistes de la question. En plus des raisons possibles, en plus des arguments avancés dans l’Encyclique Au milieu des sollicitudes, il y a des causes ; des causes beaucoup plus terre à terre et matérielles que j’ai eu à traiter dans une rubrique abordant cette problématique. La question reste posée : qu’est-ce qui a précipité la papauté, comprenons l’Église catholique romaine, dans les bras de la République française, à la merci du pouvoir judéo-maçonnique, et, par suite, dans toutes les Républiques de la planète ? La limite d’une note étant ce qu’elle est, cette problématique du Ralliement étant fort complexe, nous en resterons là.
